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Comment bien gérer le télétravail en entreprise ?

Publié le : mercredi 04 novembre 2020

Le télétravail est au cœur de l’actualité et déchaîne les passions.

Fortement encouragé, sans être encore légalement imposé, il devient une mesure essentielle pour les uns, une menace insupportable pour les autres.

Selon les propos récents de la ministre du Travail Elisabeth Borne, le télétravail n’est pas une option, et sera inscrit comme une obligation dans le nouveau protocole en entreprise.

Malgré un affichage volontariste, l’absence de consensus commun sur le télétravail révèle les difficultés pour certaines entreprises de mettre en place le télétravail de manière opérationnelle et efficace.

Seulement voilà, le télétravail durable n’est certainement pas ce que les salariés ont vécu de façon contrainte pendant le confinement du mois de mars 2020.

Alors que des voix s’élèvent pour mieux encadrer le télétravail et le généraliser, d’autres brandissent le spectre de ses conséquences néfastes pour l’évincer.

Pour savoir comment bien le gérer le télétravail en entreprise au-delà de la crise sanitaire, et éviter les confusions, il convient tout d’abord d’en rappeler les fondamentaux.

 

Le télétravail en crise  

Pendant le premier confinement, les entreprises et les salariés ont été pris de court sur la mise en place du télétravail en marche forcée.

De nombreuses contraintes supplémentaires se sont greffées à cette situation déjà improbable : les conditions de mise en place, l’école à la maison pour les enfants, l’inégalité d’accès à des outils de travail performants, les problèmes d’accès aux serveurs, une rupture quasi totale avec le lieu professionnel, le tout dans un contexte anxiogène.

Malgré le télétravail « de crise »,  les français ont majoritairement plébiscité ses avantages.

Et pour cause, avant le confinement, les salariés étaient très enthousiastes à l’idée de télétravailler. En effet, selon une étude IPSOS et Revolution@Work de 2016 :

Les français interrogés rêvaient notamment de flexibilité horaire (85%),  de « travailler plus souvent de chez soi » (72%). Ils espéraient aussi un mode de management moins vertical (62%), et  plus de confiance (54%) donc d’autonomie. Le manque d’autonomie fait d’ailleurs  partie des principaux facteurs de risques psychosociaux, insuffisamment pris en compte.

 

Cependant, des sondages plus récents reflètent une réalité très éloignée des espoirs initiaux.  Le 14 octobre 2020, Libération titrait : « Le télétravail abandonné malgré la deuxième vague de Covid19 ».

Pourtant, la demande reste massive chez les salariés et les appels incitatifs du gouvernement ne suffisent pas à y répondre.

En net recul, il est même soupçonné d’être la cause de tous les maux pour ceux qui ont mal digéré l’expérience au début de la crise sanitaire.

Pointé du doigt, il augmenterait la charge de travail, rendrait poreuses les sphères professionnelles et privées, évincerait le droit à la déconnexion, pourrait décupler l’anxiété  chez certains salariés, induirait un certain malaise des managers, favoriserait les inégalités…

L’expérience du télétravail en mode dégradé de mars 2020 serait-elle en train d’en redéfinir les contours ? Et si le télétravail n’était vraiment pas l’expérience vécue en temps de crise ?

 

Alors c’est quoi le télétravail ?

Dans sa définition, le télétravail n’a bien entendu jamais inclus la garde d’enfants, ni la déclinaison du programme scolaire ou l’absence d’outils de télétravail. Son cadre légal peu structuré ouvre justement la possibilité de l’adapter au contexte spécifique de chaque entreprise.

Pour le ministère de l’économie, des finances et de la relance , « le télétravail désigne toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur, est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire, en utilisant les technologies de l’information et de la communication. »

 

Télétravail : que dit la loi ?

Bien que les nouvelles directives envisagent désormais le télétravail doit être la règle à 100% pour toutes les activités qui le permettent en entreprise, elles sont contextuelles et ne font pas loi.

Entré dans le code du travail en mars 2012, aucune condition ne précise la mise en œuvre du télétravail en entreprise. Selon sa définition,  il s’oppose au travail sur site et peut donc s’effectuer depuis n’importe quel lieu, et pas exclusivement à domicile. Cela signifie que les espaces de coworking, les bureaux satellites, les centres de télétravail sont autant de lieux compatibles.

Depuis l’ordonnance de septembre 2017 n°2017-1387 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail, le télétravail bénéficie d’assouplissements : il n’est plus forcément régulier et peut être occasionnel, c’est-à-dire exercé à temps complet ou partiel, dont les modalités restent à définir en fonction des accords internes.

Télétravail : qui est concerné ?

En théorie, le télétravail concerne toutes les professions. Dans la pratique, le métier doit être compatible avec sa mise en œuvre. Un emploi « télétravaillable » est techniquement transposable à domicile, et la présence physique du salarié ne doit pas être indispensable.

Télétravail : peut-on le refuser ?

Il repose sur le principe du volontariat réciproque. Il n’est donc pas légalement obligatoire : l’entreprise est libre de déterminer si le profil de poste constitue un frein à sa mise en place.

Les employeurs peuvent faire le choix de ne cibler que certaines catégories de salariés et de refuser certaines demandes. Cependant, en cas de refus, l’employeur a l’obligation de motiver sa réponse, sans pour autant disposer à ce jour d’éléments légaux pour justifier sa décision.

De même un salarié ne peut pas être contraint à exercer en télétravail. Il doit être volontaire pour le pratiquer et un refus ne constitue en aucun cas un motif de licenciement.

Télétravail : que paye l’employeur ?

En télétravail, les salariés ont les mêmes droits qu’au bureau. L’employeur a en conséquence les mêmes devoirs : indemnisation des frais, prise en compte des heures supplémentaires, prévention des risques professionnels et adaptation des équipements, formation, droit à la déconnexion.

En clair, l’entreprise ne peut pas invoquer le télétravail pour ne pas payer les frais inhérents à l’activité professionnelle, ou supprimer les Tickets restaurant. Sa responsabilité est également engagée s’il n’assure pas la protection de tous les salariés.

Télétravail : comment l’organiser ?

Le cadre légal du télétravail permet donc d’envisager sa déclinaison pratique et pérenne sous l’angle de la souplesse.

C’est par exemple le parti pris du laboratoire pharmaceutique Norvatis France, qui autorise tous les salariés à télétravailler massivement, quand et où bon leur semble, avec la possibilité d’en choisir individuellement les modalités.

Partant du constat objectif que ce mode d’organisation n’érode pas la mobilisation professionnelle des salariés, Norvatis France n’a pas hésité à prendre en considération la demande d’autonomie et de flexibilité des salariés.

Les grandes entreprises de la tech n’ont pas non plus attendu de crise sanitaire pour adopter totalement le télétravail. Le contexte de pandémie n’a fait que renforcer son intérêt. Ainsi, Google, Twitter, Facebook et tout récemment Dropbox le généralisent franchement, s’appuyant sur l’étendue des économies réalisées et la protection de l’équilibre de leurs salariés.

Aux Pays-Bas, le télétravail est devenu un art de vivre, massivement plébiscité par les entreprises.

À l’inverse, de nombreuses entreprises refusent le télétravail, ou l’accordent avec parcimonie selon des critères flous : des mesures souvent incomprises, génératrices de mal-être, et synonymes de démotivation professionnelle préjudiciable sur le long terme.

Entre refus systématique du télétravail, inégalités d’accès et extrême souplesse, tout l’enjeu est de trouver le point d’équilibre propre à chaque organisation.

C’est bien là le défi à relever par les DRH : réinventer le travail en intégrant les nombreux avantages d’un télétravail raisonné et durable.

 

Comment bien gérer le télétravail en entreprise ?  

 

1.    Prendre en compte les besoins des salariés

La reconnaissance des salariés est souvent citée comme le point de faiblesse des entreprises. Or, considérer les besoins des salariés, forcément variables d’une personne à l’autre, fait partie intégrante de cette reconnaissance.

Le télétravail n’est pas fait pour tout le monde, mais convient parfaitement à de nombreux salariés.

Tout comme on encourage la pédagogie différenciée pour l’acquisition des compétences en formation, il y a un intérêt crucial à cibler de façon précise la capacité des salariés à intégrer le télétravail.

Ainsi, en analysant avec chaque collaborateur les avantages et des freins à sa mise en place, une déclinaison plus individualisée des modes de télétravail peut émerger, permettant l’adhésion majoritaire des salariés.

 

2.    Proposer un cadre clair et des outils

Pour que chacun s’y retrouve, un cadre clair doit établir les règles du télétravail.

Une charte interne co-construite par métier avec les salariés constitue un point de référence lisible et collectivement partagé.

Il convient de définir avec précision les postes éligibles, puis le nombre de jours accordés en télétravail et leur répartition dans le temps.

Les salariés ont besoin de comprendre les critères objectifs qui déterminent les choix de l’entreprise.

Ainsi, imposer des modalités d’organisation sans en expliquer les fondements est une bonne façon d’aller à l’échec ou d’inviter à la démobilisation.

D’un point de vue matériel, le télétravail doit s’appuyer sur l’équipement adéquat pour tout bureau virtuel : ordinateur portable, smartphone, outils collaboratifs…

À ce propos, les entreprises doivent informer les salariés des solutions mises à disposition, et des restrictions d’usage pour éviter d’éventuels débordements.

À titre d’exemple, des plateformes telles que Zoom, Teams ou encore Slack favorisent le travail collaboratif à distance.

Enfin, la planification du travail et les modalités de contrôle doivent être détaillées, car ils constituent un des piliers de l’évaluation.

 

3.    Évaluer en continu

Un double processus d’évaluation sécurise la transition vers le télétravail : mesurer l’implication professionnelle, et réajuster la pertinence du dispositif initial dans une volonté d’amélioration continue.

Quoi qu’il en soit, l’efficacité du télétravail repose sur un postulat de confiance réciproque et une organisation par objectifs.

Le contrat de performance offre la possibilité de responsabiliser les salariés en retrouvant du sens aux missions confiées, là où la présence physique au bureau suffit parfois à définir « le travail » et rassurer certains managers.

Pour accompagner cette transition, il donc nécessaire de réévaluer continuellement le dispositif et la santé des salariés.

 

Par exemple, on peut identifier à échéance régulière les freins à la communication d’équipe et tenir compte des propositions des collaborateurs pour y remédier.

Le maintien de temps d’échanges collectifs permet de repérer les ressources nouvelles à mobiliser, tout en agissant sur les difficultés signalées.

 

4.    Inventer de nouveaux modes de convivialité

Certains refusent le télétravail pour continuer à « faire vivre les bureaux », d’autres ne se sentent pas à l’aise pour manager à distance. Il est parfois mal vécu de rompre avec les traditionnelles réunions hebdomadaires.

Mais plutôt que de s’accrocher aux schémas connus devant la peur du changement, la mise en œuvre du télétravail force la créativité.

Loin d’un processus basé essentiellement sur des directives descendantes puis un reporting ascendant, on ne peut que conseiller d’expérimenter quelques exemples et d’en générer de nouveaux :

Pour maintenir une ambiance propice à la communication, il n’y a pas de recette miracle, mais une pluralité de solutions inspirantes.

 

5.    S’inspirer des start-up

Les start-up proposent par exemple un concentré d’innovations. Outre les réunions interactives en télétravail, certains salariés bénéficient parallèlement d’outils variés pour favoriser le lien social :

Une liste non exhaustive d’idées ponctuelles qui boostent pourtant durablement le sentiment d’appartenance à une « famille professionnelle » cher à bon nombre de salariés convertis au télétravail.

Retisser un lien social distendu, c’est aussi briser la routine, affirmer de fortes valeurs, tordre le cou à un cadre de références obsolète, et (re) prendre plaisir à partager. Un savant mélange de convivialité informelle et de fluidification des échanges reste à inventer

 

6.    Interroger le sens du travail

Le télétravail interroge le rapport intime que chacun entretient au travail, ainsi que l’héritage culturel de la valeur travail. La crise sanitaire donne l’opportunité de reconsidérer individuellement et collectivement les croyances sur le sens du travail.

Le dicton populaire « Le travail, c’est la santé ! » est plus que jamais décalé, à l’heure ou pour préserver sa santé, il devient vital de repenser profondément l’organisation du travail.

Cette année 2020 est sans doute une occasion en or pour redéfinir une ère professionnelle en rupture avec les schémas connus, inadaptés aux changements mondiaux et sociétaux.

L’entreprise allemande Rheingans Digital Enabler a par exemple adopté une posture novatrice. Son dirigeant a instauré en 2017 la journée condensée de 5 heures, pour le plus grand bonheur des équipes. Après 13H45, un nouvel horizon s’ouvre : les salariés développent une vie sociale, sportive culturelle riche à l’extérieur.

Un pari osé, à contre-courant, mais pérenne : du temps pour l’acquisition d’une pluralité de compétences « pour le plaisir » pourrait bien nourrir l’engagement et la performance professionnelle.

 

7.    Construire demain… maintenant !

Le télétravail fait couler beaucoup d’encre, et des sondages affirmeront encore que les français n’en veulent plus, sans tenir compte de sa mise en œuvre dernièrement imposée dans l’urgence.

Une urgence qui pourrait se reproduire à long terme, malgré la tendance naturelle de l’homme à l’oubli.

Au-delà de cette crise sanitaire inédite, les attentes des jeunes générations sur le marché de l’emploi suscitent inévitablement la remise en question.

« Travailler autrement, avec davantage de sens, d’autonomie et de plaisir » est l’expression d’un désir qui se répand progressivement comme une nécessité absolue. Elle a fait ses preuves pour de nombreux salariés lors du premier confinement, sans impact sur l’engagement professionnel.

Force est de constater que le besoin d’indépendance et d’individualisation des modes de travail se fait de plus en plus pressant. La confiance devient la valeur incontournable de la relation entre un employeur et ses salariés. Et le travail n’existe pas sans les salariés, avec leur volonté, leurs atouts, leurs fragilités, leur singularité.

Et si le télétravail choisi n’était que le premier pas vers un rapport plus mature au travail, et à l’avenir ?

 

Rédactrice : Ombeline Cadiergue, pour le Mercato de l’Emploi

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